lundi 28 septembre 2009

Les invalides

Imaginez une cour de caserne, sous un beau soleil automnal.
La troupe est là, alignée, figée au garde-à-vous, impeccable.
Ils sont bien jeunes pour partir au combat, ces petits soldats. Ils ne sont encore qu'une soixantaine, mais chacun rêve d'en découdre. Observez celui-là, par exemple. Il a astiqué son équipement, il se tient droit, l'œil conquérant. Sous son petit crâne trop tendre, l'envie d'action, après tout ces mois d'attente, est à son paroxysme, comme l'est la crainte affreuse qui lui tenaille le ventre: pourvu que personne ne remarque le vilain boitillement qui freine son pas depuis une mauvaise chute, et qui, découvert, l'empêcherait certainement de gagner le front avec ses semblables. Il pense aussi à ses chaussures qu'il n'a pas pris le temps de cirer ce matin: quelle erreur.
Nuque raide, il risque un œil sur ses voisins. Ils sont immobiles, le regard droit et dur, parfaits, sûrs d'eux.
Alors le désespoir l'accable.
Le pauvre petit trouffion est incapable de deviner que les mêmes angoisses taraudent chacun de ses camarades.

Le général arrive. Il passe la troupe en revue. Son pas est lourd. Posément, il inspecte chaque soldat, de la tête aux pieds. Chacun rentre le ventre, serre les fesses. Il a l'œil fouineur et mauvais. Régulièrement, d'un simple coup de menton, il expulse du rang une recrue qui, tête basse et rêves brisés, rejoint sa chambrée. Une arme mal graissée, un pli de pantalon un peu flou ont suffi à attirer la sanction. Il leur faudra attendre la prochaine revue de troupe pour espérer quitter cette maudite caserne.
Ceux devant qui le général est passé sans rien dire tentent de contenir, autant qu'ils peuvent, leur soulagement et leur joie. Finie le cantonnement. À eux, bientôt, le vaste monde.
Le général s'arrête devant le petit soldat boiteux, qui sent un filet de sueur glacée dévaler entre ses omoplates.

Bref.
Les éditions Futuropolis me réclament des planches originales. La phase technique de la vie éditoriale du livre va commencer.
Jusqu'ici, je les gardais toutes dans mon atelier. Et je me prépare à confier à Claude Gendrot, éditeur, les plus acceptables d'entre elles.

En ce début de semaine, elles sont ces petits soldats en sueur.
Le rôle de ce vilain général soupçonneux, qui trie les valides et les autres, me revient.

Moi qui ai refusé de faire mon service militaire...