Souvent farouche, parfois misanthrope, le gnou n'est cependant pas assez stupide pour ignorer qu'il ne pourrait pas survivre dans la nature hostile sans un minimum de liens sociaux avec d'autres espèces animales.
On observe parfois, c'est vrai, des individus particulièrement revêches fondamentalement inaptes à la vie de troupeau. On les reconnaît au fait qu'il consacrent l'essentiel de leur journée à délimiter leur territoire à grands jets d'urine. Cette caractéristique peut prendre une dimension pathologique, chez certains gnous, qui négligent même de se nourrir. On les reconnaît à leur pelage terne, à leurs côtes saillantes et à leur œil vitreux (notons cependant que ces individus ne s'abstiennent jamais de boire, sans quoi il leur serait impossible de borner leur espace vital, on voit ici que le gnou ronchon a oublié d'être con).
Misanthropes ou pas, les gnous mènent une existence paisible et souvent misérable aux quatre coins du territoire. Oh bien sûr, il leur arrive parfois d'envier le sort glorieux du lion ou la stature de l'éléphant, mais, allez, on n'est pas les plus malheureux, et la vie suit son petit bonhomme de chemin.
Pourtant, une fois l'an, ce modeste mammifère lève le mufle au dessus du pré. Et à chaque fois, la savane, qui l'ignore absolument le reste de l'année, se rappelle que les gnous existent. Le jour approche, tout le monde le sent. L'œil du gnou s'allume. Il redresse le buste et gonfle sa creuse poitrine. Bravache, il trotte, la bave au groin, heureux d'être l'objet d'une attention aussi éphémère que circonspecte.
Le pays est immense, mais partout au même moment, les gnous se réveillent. Même le lion superbe, même l'incontournable éléphant doivent l'admettre: Bon sang mais c'est bien sûr, le jour du gnou approche.
(À suivre)