La date approche. Tout commence demain. La loi du sang parle déjà.
Les gnous les plus jeunes, les impatients et les chefs de meute sont déjà en route. Tout enivrés de leur éphémère importance, ils abandonnent leur nonchalance naturelle au profit d'une course presque gracieuse dont on ne les aurait pas cru capables de prime abord.
De tous les points de l'espace connu, essoufflés, joyeux et affolés, ils convergent vers le pâturage qui, d'aussi loin que porte la mémoire gnoucienne ( adjectif à vérifier), a toujours été le but ultime de cette migration hivernale.
Ceux qui n'ont pas déjà pris la route ont aussi entendu l'appel. Une fierté inavouée les empêche de se précipiter dans le sillage de leurs congénères déjà partis. Ils piaffent. Ils savent que le jour n'est pas encore venu, mais demain, ha demain...
Les spécialistes du gnou se perdent en conjectures quant à la raison de ce rassemblement dans cette pairie anodine. Pas d'herbe plus grasse qu'ailleurs. Nulle source fraîche d'eau limpide. Pour la plus part des gnous, y parvenir nécessite une course de plusieurs centaines de kilomètres, à l'aller comme retour.
Avant leur arrivée, ce n'est qu'une colline vaguement désertique, où pousse une herbe jaune de qualité moyenne, en quantité moyenne.
Et dès que les premières hordes de gnous s'y installent, tout est piétiné, dévoré en quelques heures. Les traînards ont toujours tord.
Pourtant, chaque année, c'est le même plaisir enfantin qui les fait revenir.
Une autre question ajoute au mystère de cette énigme: pourquoi, à la même période, des centaines de milliers d'autres bestioles -de toutes espèces- , comme aspirées par la course de ces gnous enfiévrés, abandonnent-elles également leurs herbages chéris pour rallier ce même pâturage sacrifié?
Gageons qu'un jour la Science Française saura éclaircir cette question.
En attendant, amis lecteurs, écoutez la pulsation d'une fièvre qui monte.
Demain est un autre jour.
(À suivre)